Après cette brève mise en relief de la problématique, entrons dans le vif de notre réflexion articulée sur trois points: L'irrécusable réalité du mal, sa dimension relationnelle et la justice de Dieu.
1. L'irrécusable réalité du mal
Si par définition, le mal est ce que la volonté réprouve, comment justifier sa propagation exponentielle dans le monde? Effectivement, qu'il y a du mal dans le monde, personne ne peut le nier sans escamotage. Le mal est une question obsédante et rude sur laquelle bute et rebute notre raison. Depuis des siècles, des tentatives de dire ce qu'est le mal ne cessent de s'entreprendre mais sans succès. Devant cette scène de plus en plus horripilante de l'insensé existentiel, la pensée humaine tire toujours des comptes à découvert.
C'est un problème épineux qui reste une question ouverte au coeur de la réflexion et de chaque personne. Il est devenu comme une maladie et venin de l'homme qui en reste marqué dans son corps et dans son âme; c'est la pierre d'achoppement pour la pensée et la vie de l'homme. Kierkegaard ira jusqu'à dire qu'une morale qui ignorerait cette épouvantable réalité se condamnerait irrévocablement à l'échec et serait par là -même vaine.
En effet, la réalité du mal est comme l'ombre qui accompagne l'existence humaine. Classiquement, le mal a été considéré sous trois angles : le mal métaphysique, le mal physique et le mal moral. Le premier consiste dans le fait d'être limité, par exemple le fait de n'avoir pas des ailes pour voler chez l'homme, de n'avoir pas l'expression verbale pour l'animal sauvage,... Celui-ci ne nous cause pas d'ennui. Par contre, le mal physique qui touche notre être et le mal moral qui cautérise notre conscience, sont des maux dits positifs; de véritables désordres qui ne résultent pas d'une simple limite ou privation, mais qui résultent d'une privation très réelle de quelque bien qui serait péremptoire à la nature d'un être. En d'autres mots, ils sont conséquents d'une privation d'un bien exigé par la nature de cet être ; comme la surdité, l'aveuglement, etc...
Toutefois, malgré cette positivité reconnue au mal physique et moral, ce dernier est le plus angoissant. Effectivement, il est ce dont les conséquences ne nécessitent pas le recours aux lunettes pour s'en rendre compte, car il affecte non seulement son auteur, mais aussi son entourage. Le mal s'impose à nous, il semble dominer le monde plus que le bien. Nous voudrions faire le bien et voici que le mal prenne le devant comme nous le montre Saint Paul apôtre lorsqu'il se lamente contre cette inexorabilité du mal
«le bien que je veux je ne le fais pas, mais je fais le mal que je ne veux pas». C'est la réalité la plus patente que les mauvaises actions sont plus éclatantes que les bonnes actions.
Les nouvelles diffusées dans les radios, télévisions, dans les différents journaux risquent de faire croire que le mal a pris le devant dans le cours du monde. Certains vont jusqu'à penser que ce sont ceux qui font le mal qui réussissent dans leurs projets
«les impies croissent comme l'herbe, ils fleurissent ceux qui font le mal», lisons-nous dans le psautier. Mais qui est responsable de cette harassante réalité ? Certains culpabilisent Dieu, d'autres la Société, d'autres l'homme lui-même.
Dans la perspective chrétienne, l'homme est à l'origine et responsable du mal qu'il cause tout en étant en même temps le prisonnier. Ce disant, si le nom de Dieu est amour, comment serait-Il l'auteur de ce qui dénigre l'homme? Dans son amour, Dieu nous laisse libres car, l'amour sans la liberté serait irrécusablement esclavage. Dieu n'est donc pas indifférent ou impuissant vis-à -vis de cette cruelle réalité qui menace l'humanité, mais Il respecte notre libre arbitre.
«Je mets devant toi la vie et la mort, le bien et le mal; choisis donc le bien pour que tu vives éternellement» nous dit le Seigneur.
Voilà le projet de Dieu sur ses enfants: qu'ils choisissent la vie. Mais hélas, voilà que le bien par excellence dont l'homme dispose devient cause des maux qui le rongent dans son histoire. Le mal n'est ni la faute de la Société, ni celle de la planète ou d'une énergie quelconque ; qui dirait ainsi refuserait d'assumer la responsabilité de ses actes. Le mal est cette prévarication de la liberté de l'homme qui préfère l'utile à l'honnête si nous empruntons la conception de Saint Thomas d'Aquin. Il est notre cupidité, nos jalousies, nos haines, nos mensonges... Ceci fait qu'un mal n'est jamais individuel bien qu'il soit accompli par un individu.
2. La structure relationnelle du mal
Le mal fait effectivement plus de bruit parce qu'il est relationnel. Comme on ne peut pas penser un homme isolé, de la sorte on ne peut pas penser un malfaiteur qui serait isolé sinon il ne le serait pas car personne ne se rendrait compte de son mal. Ce faisant, le mal consiste dans le fait de porter atteinte à l'humanité, dans le fait de nous centrer sur nous-mêmes à l'exclusion de tout le reste. En réalité, le mal n'est pas ce qui m'empêcherait de m'épanouir comme individu, mais plutôt ce qui, en moi, entraverait l'épanouissement de l'autre ; ce qui porterait atteinte à sa dignité, à sa liberté, à son bien-être.
Dieu nous exhorte à faire du bien au prochain, à nous aimer les uns les autres ; mais hélas, nous nous sommes détournés de cette voie en nous créant des raccourcis. Avec la postmodernité, l'autre devient mon ennemi, mon enfer, un être de trop et le mal n'est plus de ne pas lui venir en aide, mais plutôt le contraire. On est devenu allergique à la présence de l'autre qui devrait nous
«responsabiliser» selon l'expression d'Emmanuel Levinas. De cette sorte,
«dans sa structure relationnelle (dialogique), le mal commis par l'un trouve sa réplique dans le mal subi par l'autre; c'est dans ce point de majeure intersection que le cri de la lamentation est plus acuité, quand l'homme se sent victime de la méchanceté de l'homme».
Chaque fois que nous refusons notre secours à nos prochains alors que nous en étions capables, nous commettons un mal à son égard comme nous le précise bien Saint Jacques dans son épitre (cfr. Jc 4,17). De façon délibérée et préméditée nous choisissons ce qui blesse, attriste, conduit l'autre dans des situations atroces. Chacun de nous, usant sa liberté, cherche son épanouissement, mais hélas, dans cette recherche nous sommes capables, et c'est ce qui arrive le plus souvent, de céder à la méchanceté, à la violence, au mal qui peuvent toucher et détruire les autres.
Le mal ne peut jamais être une affaire personnelle et strictement privée. Les humiliations subies à cause d'une législation injuste affectent l'ensemble même si certains pourraient sembler être impassibles par le malheur des autres. Les conséquences de nos actions, voire d'un infime acte irréfléchi sont irréversiblement communautaires, nul ne peut se considérer une petite île isolée du reste de la planète. Le mal causé en Israël a ses répercutions sur un petit pauvre de Cendajuru même s'il ne s'en rendra pas compte. Mais alors, pourquoi tout cela dans un mondé aimé par son Créateur qui est la Bonté personnifiée? Autrement dit, que fait Dieu devant cette réalité accablante pour l'homme? Nous avons dit en passant que le responsable de cette affreuse maladie c'est l'homme lui-même dans sa liberté, ce bien par excellence.
Le mal est cette face déformée de notre liberté. Ce disant, Dieu bien qu'Il est le plus touché par le mal subi par ses fils qui s'entredéchirent, ne peut pas s'imposer, Il est Amour et Il respecte infiniment notre liberté. Néanmoins, Il s'est réservé le moment où nous devrons lui rendre compte de ce qu'est a été notre existence.
3. La justice de Dieu
La prolifération exponentielle du mal dans ce monde vécu par les enfants des hommes créés par un Dieu aimant ne peut que nous rendre de plus en plus pessimistes quant au sens de la vie. Devant le cours de l'existence qui semble aller du mauvais au pire, nous avons l'impression que Dieu ne s'intéresse plus au sort de ses fils et nous avons la tentation de penser qu'Il s'est fatigué de nous comme s'il était l'un de nous. Face aux atrocités souffertes par les hommes de cette planète toute tentative de théodicée, cette argumentation qui essaie de justifier la présence du mal tout en admettant en même temps l'existence de Dieu, devient discréditée.
En effet, nous vivons une air qui devrait permettre le bonheur à l'homme vu la dextérité technologique et scientifique qui la caractérise; mais hélas, il se découvre de plus en plus devenu plus problématique comme dans aucune autre époque. Le philosophe allemand Martin Heidegger décrit l'homme contemporain comme quelque chose qui apparaît et disparaît, comme l'insaisissable.
«Aucune autre époque comme la notre a su conquérir telles connaissances sur l'homme; mais en même temps aucune autre ne l'a connu ainsi insuffisamment; dans aucune autre époque l'homme est devenu problématique comme il l'est aujourd'hui».
Désemparés, certains pensent avec ce psalmiste:
«qui nous fera voir le bonheur?» (Ps4, 7); les autres se rebellent contre cette divinité impuissante, incapable de les délivrer des maux qui les menacent (maladie, guerres, faim, injustices, catastrophes naturelles,?). Ces propos d'un prisonnier navré par l'existence témoignent de l'amertume de ce dernier contre Dieu. il s'écrit:
« L'Omnipuissant est déshonoré par l'existence des disgrâces qui nous touchent». Autrement dit, si Dieu existe réellement et que devant cette affreuse réalité de l'existence qui suffoque l'homme manifeste un silence qui semble absolu, Il est vraiment cynique, Il se complaît de la douleur des hommes. Mais, ces accusations sont-elles justes? Est-il vrai que Dieu est indifférent à notre douleur? Ne dit-Il pas aux gens endurcis, ennemis de la justice
«ma main est-elle trop courte pour racheter? N'ai-je pas assez de force pour délivrer?».
Ainsi, si Dieu semble tarder, Il n'est pas du tout insensible aux souffrances de ses enfants; Dieu souffre du mal plus que nous-mêmes puisqu'Il est le Pure par excellence, en Lui il n'y a pas du mal, Il souffre par amour pour nous. Nous sommes faits effectivement pour le bonheur et non pour le malheur mais voilà que nous préférons les ténèbres à la lumière, la mort à la vie. Dieu n'est pas un spectateur indifférent, voire cruel de tout le mal commis sur cette terre que nous occupons -comme le penseraient certains courants philosophiques-. S'Il semble tarder, c'est par amour pour nous car Il ne veut pas notre mort, mais notre conversion afin que nous puissions vivre. Néanmoins, bien qu'Il soit miséricordieux, Il est aussi juste. Il ne laisse pas impunis les malfaiteurs,
«les impies croissent comme l'herbe, ils fleurissent ceux qui font le mal, mais pour disparaître à tout jamais» nous dit le psaume 91.
Ceux qui font le mal se croient impassibles
«sur leur terre ils avaient mis leurs noms», se voient d'un oeil trop flatteur. Le livre des psaumes regorge des passages qui nous montrent que Dieu n'assiste pas en passif à la folie de ses enfants, mais que c'est tout simplement la patience d'un père aimant envers ses fils. Ce faisant, il faut que chacun de nous s'interroge sur ses actions, prenne conscience qu'un jour, il nous sera demandé compte de nos oeuvres car, la justice de Dieu est une haute montagne et ses jugements le grand abîme. Dans sa parole Dieu ne cesse de nous montrer la fugacité de ce monde et la récompense de ceux qui font le mal.
«Voilà ce que tu as fait et, parce que je n'ai rien dit, tu t'es imaginé que je te ressemblais; mais je vais te reprendre et tout mettre sous tes yeux».
Nous pouvons faire tout ce que nous voulons en faisant fi du regard de Celui qui nous donne la vie, mais soyons sûrs que le mal reste le mal même s'il serait fait par tout le monde, alors que le bien reste le bien même si personne ne le ferait; et que Dieu, dans sa pureté, a le mal en horreur et ne le pourra le laisser impuni; Il est, en effet, Miséricordieux pour qui se ressaisit et se détourne de sa mauvaise conduite; mais Il est aussi Juste.
Si Dieu n'a pas voulu le mal, Il n'est cependant pas étranger à ce dernier; Il est le premier à en souffrir. Il pleure notre mal. À travers l'incarnation de son Fils Unique, Il est venu partager notre condition afin de nous en délivrer. Cela dit, nous ne devons pas céder à la résignation et au désespoir, car nous ne sommes pas créés pour le malheur, mais pour le bonheur; et ce bonheur n'est nulle part ailleurs qu'en Dieu seul.
Notre devoir comme chrétiens, n'est pas de chercher à comprendre le pourquoi de l'existence du mal dans la création, plutôt de travailler à combattre le mal, car finalement; le plus important n'est pas de l'expliquer, mais de s'en libérer grâce à la culture de l'amour, lequel brise jusqu'à la mort, le mal par excellence.