Durant ce Carême de 2018, nous sommes appelés à méditer sur la trahison de Judas pour nous préparer à entrer dans la Semaine sainte avec un renouveau spirituel, en nous détachant de tout penchant qui nous conduirait à trahir nos prochains
Pendant que Jésus-Christ célébrait la Pâque juive avec ses douzedisciples et qu'ils étaient à table pour prendre le repas pascal, le soir duJeudi saint, il leur dit: «Oui, vraiment,il faut que je vous le dise, l'un de vous me trahira, celui-là même qui mangeavec moi. Oui, continue-t-il, c'est l'un des douze, qui trempe son morceau dansle même plat que moi. [...] Malheur à celui par qui il va être livré. Mieuxvaudrait pour cet homme-là n'être jamais né!» (Marc 14,18-21)
De toutes les souffrances qu'un être humain puisse vivre, latrahison est sans doute l'une de celles qui lui laissent des cicatrices lesplus profondes. Elle peut entraîner la désillusion totale, la perte deconfiance, la fin d'une relation, le deuil des rêves et des projets que nousavions ensemble, voire même la perte d'une vie. À cela s'ajoute l'impactnégatif que cette trahison aura sur notre estime de soi, le jugement sévère quenous portons envers nous-même par rapport à notre manque de jugement, lesremises en question, la peine et la colère en alternance.
Durant ce Carême de 2018, nous sommes appelés à méditer sur latrahison de Judas (et éventuellement sur le reniement de Pierre) comme uncontre-exemple qui nous prépare à entrer dans la Semaine sainte avec unrenouveau spirituel, en nous détachant de tout penchant qui nous conduirait à trahir notre prochain, à renoncer à ce mal, afin que naisse en nous un désirrenouvelé de conversion de notre coeur, en vivant chaque jour le même amour,l'unique force capable de changer le monde.
La trahison, une réalitéet tout un calvaire que nous attirons à l'innocent

Tout comme nous le contemplons chez Jésus dans son visageplein de douleur, moqué, outragé, défiguré par le péché de l'homme, lors quenous trahisons notre prochain, nous lui attirons tous les malheurs possibles,tout un calvaire. Et, dans ce monde défiguré par l'insouciance, la trahison n'estpas seulement celle qu'a subie notre Seigneur. Même de nos jours, elle resteune réalité. Elle existe même au niveau familial, entre voisins, ou chez despartenaires unis par un lien amical, amoureux, professionnel, dans leshistoires individuelles ou collectives des communautés...
Comment la trahison s'installe-t-elle dans le coeur dutraitre?
La trahison est avant tout un concept théologique qui nousvient de Judas, l'image type du traître, mais on ne peut pas dire qu'elle soitune composante de la nature humaine. Elle ne relève pas de comportements innés,mais plutôt de comportements acquis, liés à des situations propres, dans uncontexte particulier, avec des individus différents.
La trahison peut s'effectuer de plusieurs manières, de façondélibérée ou inconsciente. Quitter sa famille, quitter sa patrie, quitter safemme, quitter son patron, quitter un groupe, quitter un mode de penser..., c'estsigne d'un désir d'indépendance, c'est une manière de s'affirmer en dehors del'autre et sans l'autre, une manière de lui dire, «je me passe de toi» et «jepeux vivre sans toi». Par sa déloyauté, celui que nous désignons comme traîtreest là pour nous rappeler qu'il n'existe pas plus d'amour absolu que de véritéabsolue.
Ya-t-il des personnesprédisposées à être "traîtres" ou des caractéristiques personnellesqui facilitent la trahison?
Si l'on décide de porter un jugement moral sur les personnesqui commettent un acte de trahison, on peut effectivement invoquer la couardise,le mépris, le déni de la réalité de l'autre, la déloyauté. Les raisons quipoussent une personne à trahir sont diverses et variées.

Mais si l'on tente de décrypter les mécanismes de latrahison, et les raisons qui ont incitées un individu à trahir, on se rendcompte que la trahison peut être ressentie et interprétée comme telle par celuiqui en subit les conséquences, alors que l'agent actif de la trahison n'a pasforcément conscience de commettre un tel acte.
Par exemple, dans un pays enguerre, une personne peut être amenée à trahir pour sauver sa peau. Par quelles phasespasse la personne trahie?
La trahison nous laisse dans un état de sidération parcequ'elle provoque un effet de surprise. Tout au moins les premiers temps, parcequ'elle est suivie d'une palette d'émotions qui vont de la colère à latristesse, de la jalousie au sentiment d'abandon. Attendu que le lien amical,amoureux, professionnel ou familial entre deux partenaires repose sur uneentente tacite, la confiance que l'on fait à l'autre et l'idée qu'il étaitsolidaire de ce lien privilégié, lorsqu'il trahit, le traître rompt ce pacte desolidarité, tandis que le trahi se sent spolié, abandonné et surtout démuniparce que privé de cet autre avec lequel il pensait avoir une relationparticulière.
Comment guérir d'unetrahison?
Guérir d'une trahison c'est reconnaître que l'on a perduquelqu'un ou quelque chose et que notre vie a changé. Il y a un «avant» et un«après». Notre inconscient s'organise autour de deux pôles: l'instinct deconservation et l'instinct de vie. Certaines personnes continueront des'enliser dans leur statut de victime, tandis que d'autres réussiront à intégrer cet événement traumatique dans leur histoire et trouveront la force derevivre.
De toutes les façons, si la trahison est mal tolérée parcelui qui la subit, c'est aussi parce qu'elle porte en elle des germes de laséparation, car le traître se décharge de toute responsabilité. Il est vrai que l'on se réalise à travers le travail, la famille, la personne aimée et ses amis.
Ainsi, apprendre que le poste que l'on briguait a été attribué à un collègue suite à une dénonciation déloyale est une prise de conscience brutale et douloureuse qui remet en question tout un système de croyances et de représentations sur lequel nous nous sommes construits et qui nous permettait de nous projeter dans l'avenir.
Aussi, apprendre que notre père biologique n'est pas celui que l'on croyait être est une atteinte narcissique qui vient ébranler des convictions profondes telle que celles d'avoir nourri l'illusion que nous avions une relation privilégiée avec notre père.
Pour arriver à pardonner il faut parler, car la parole aide à laguérison. Dans un premier temps pour exprimer sa colère, puis pour essayer decomprendre ce qui a poussé l'autre à trahir. C'est uniquement en acceptant puisen donnant du sens à cet événement que l'on arrivera à le surmonter et pourquoipas, à le retourner à son avantage.
La vengeance est-elleest un moyen de guérir d'une trahison?
Dès l'instant où l'on cherche à se venger, c'est que l'onn'est pas guéri. La vengeance peut soulager momentanément, mais elle ne réparepas en profondeur. Et surtout, elle ne change rien à la situation si ce n'est à donner une condamnation au traître. Et encore, est-il vraiment conscient qu'ila trahi ? Se venger, c'est partir du principe que l'autre est coupable et qu'ildoit être puni.
Un adulte qui apprend à son insu qu'il est en réalité unenfant adultérin peut avoir le sentiment d'avoir été trahi. Mais ses parents seculpabilisent-ils pour autant d'avoir gardé le silence? Bien souvent, lessecrets de famille ne sont pas révélés parce que le poids de la honte obligeles personnes qui en sont à l'origine à se taire.
Quant au mari ou à la femme adultère, on peutaussi considérer qu'ils ont agi sous l'emprise de la passion et se vengern'ôterait rien aux sentiments qu'ils éprouvent pour une autre personne.
Est-ce possible depardonner une trahison?
L'aptitude au pardon est une variable qui dépend de différentsfacteurs. A commencer par celui de la nature et de la densité du lien quiunissait les deux partenaires : il est plus facile de pardonner à son enfantqu'à son collègue de bureau. Mais aussi de l'éducation du sujet trahi, de sonentourage, de sa capacité d'analyse qui peut l'aider à comprendre ce qui s'estpassé. Indépendamment de tout cela, il est vrai que pardonner peut aider à sedélivrer de sa haine et de sa douleur.
Pardonner c'est d'abord prendre conscience que l'on a souffert et, à ce titre, le pardon est une intention que l'on a d'abord envers soi, pour cesser de se faire du mal. Cependant, pardonner n'est pas oublier, car l'oubli est une stratégie de survie efficace qui permet d'éliminer l'événement douloureux de notre conscience, au risque de le voir réapparaître sous forme de cauchemars et de symptômes somatiques et/ou psychiques.
Pour y arriver, il suffit d'avoir le courage d'imiter l'exemple de Jésus sur la croix, celui qui pria: «Mon Père, pardonne-leur, car ils ne savent pas ce qu'ils font.» Jésus-Christ demandait ce pardon pour eux au moment où les soldats faisaient des lots avec ses vêtements et les tirèrent au sort, tandis que la foule se tenait tout autour et regardait. Quant aux chefs du peuple, ils ricanaient et se moquaient de lui: «Il en a sauvé d'autres, s'écrièrent-ils, qu'il se sauve lui-même maintenant s'il est réellement le Messie, celui que Dieu a choisi!» (Luc 23,34-38).
