Toutes les recommandations collectées, le Secrétaire Exécutif Permanent de la CEJP-Burundi entreprend de les soumettre à la Conférence des Évêques Catholiques du Burundi (CECAB) pour la finalité ultime de Plaidoyer National, dans l'espoir qu'une femme qui jouit positivement de son droit à la propriété et à la prise de parole dans les instances de prise de décisions contribue favorablement à l'édification d'une société épanouie
Dans la perspective d'amélioration de l'accès à la terre de la femme burundaise, spécialement la femme rurale, et de son implication dans les organes de mise en Å“uvre des politiques au niveau local, le Secrétariat Exécutif Permanent (SEP) du Réseau «Justice et Paix» de la Commission Épiscopale Justice et Paix (CEJP-Burundi) a organisé, le Mardi 25 Juillet 2023, une Conférence publique de Plaidoyer National pour cette cause, une conférence qui s'est tenue dans les enceintes du centre «La Détente». Cette conférence s'est tenue dans le cadre du projet intitulé: «Amélioration de l'accès à la terre de la femme burundaise», exécuté conjointement par le Secrétariat Exécutif Permanent (SEP) du Réseau «Justice et Paix» de la Commission Épiscopale Justice et Paix (CEJP-Burundi), en partenariat avec l'associaton UNIPROBA (Unissons-nous pour la promotion des Batwa), le Barreau de Gitega, et l'APEDH, avec l'appui technique de CORDAID, et mis en Å“uvre dans les provinces de Bujumbura, Cibitoke, Kirundo, Muyinga et Ruyigi.Â
Elle vise, non seulement l'amélioration de l'accès à la terre de la femme burundaise et son implication dans les organes de mise en œuvre des politiques nationales, mais aussi dans les mécanismes de résolution des conflits au niveau communautaire.
Ont participé à cette conférence différentes personnalités impliquées dans la cause de défense des droits humains, essentiellement des droits des femmes, dont les représentants de ces associations ou leurs envoyés, les gouverneurs des provinces et les administrateurs des communes dans lesquelles s'exécutent ce projet, ainsi que des femmes regroupées au sein des associations féminines rurales d'autopromotion au développement et des assurances féminines de la communauté de l'ethnie «Batwa». Le Ministère de la Solidarité Nationale, des Affaires Sociales, des Droits de la Personne Humaine et du Genre a été représenté par Honorable Jacqueline Baranyizigiye, Directrice Générale de la Réinstallation et de la Réintégration Durable des Sinistrés.
Au menu du programme figurait deux sujets essentiels: le premier point, présenté par Maître Alphonsine Bigirimana, Facilitateur du jour, Spécialiste en Droit et en Développement Inclusif et Présidente de l'Association des femmes juristes (AFJB), consistait en la présentation des résultats de son analyse de la situation de la jouissance, par les femmes burundaises, de leurs droits fonciers, ainsi que de leur degré de participation dans des organes de prise de décisions. L'autre point consistait, bien-entendu, en la collecte, en session plénière des participants à la Conférence, des arguments à réunir pour constituer ainsi les arguments dudit Plaidoyer.
Le Secrétaire Exécutif Permanent de la CEJP-Burundi, Monsieur l'Abbé Charles Karorero, qui a présenté l'objet de cette Conférence, a indiqué que celle-ci s'inscrit dans le cadre du projet haut-mentionné, lequel projet s'inscrit également dans le cadre du plan stratégique de la CEJP-Burundi, dans son axe relatif aux Droits Humains.Â
Pour lui, qui dit «Droit Humains» n'écarte pas ceux des femmes, et parmi les Droits des Femmes figure le Droit Foncier, un droit d'ailleurs inhérent à l'existence de la créature humaine. Il a indiqué: «Nous avons exécuté ce projet dans ce cadre de promotion des Droits Humains, pour que tous les citoyens burundais s'y reconnaissent, hommes commes femmes, voire même les enfants et les jeunes.» Il a ajouté: «Au niveau de la CEJP-Burundi, ce service de l'Église Catholique qui reconnaît la dignité de la créature humaine créée à l'image de Dieu, nous sommes conscients que cette dignité ne peut aucunement être réclamée ni de la part de l'État ni auprès des particuliers; elle est naturelle, et nous avons l'obligation de la valoriser, de la protéger et de la promouvoir.»
Selon l'Abbé Charles Karorero, au lieu que les gens restent coincés par les traductions et les coutumes illogiques, il est temps qu'ils changent de comportement, et accueillent avec bienveillance toutes les initiatives de promotion du Droit de la femme sur la propriété foncière. Et de proposer trois voies de sortie: la sensibilisation par les défenseurs des droits des femmes et l'État, le changement de comportement de tous les membres de la société burundaise qui n'ont pas encore adhéré à cette conception en imitant ceux qui sont en avance, et l'appropriation par tous des mécanismes de protection et de défense de ce Droit.
Quid du Droit des femmes sur la propriété foncière? La réponse est dans les termes de Maître Alphonsine Bigirimana, Facilitateur du jour et analyste de l'enjeu. Elle a indiqué que dans les textes juridiques (pactes internationaux sur lesquels le Burundi a ratifié, la constitution nationale et le cadre légal), ce droit est inscrit et bien consigné, mais que c'est dans les faits que l'enjeu se complexifie.
Elle a dit: «Les cours et tribunaux reconnaissent aux membres de la fratrie, tous sexes confondus, le même droit de propriété et le partage égal du terroir foncier familial, mais en milieu rural, lorsqu'il advient de déterminer la part de chacun, la coutume attribue aux filles un petit lopin arbitraire à cultiver (surtout celles qui se sont mariées), pour qu'elles compensent simplement leurs provisions dans leurs foyers.» Néanmoins, cette portion de terroir foncier dont elle a rappellé la désignation de "Igiseke" dans le langage vernaculaire, et qui est devenue simplement le seul droit acquis, n'est pas considérée au même pied d'égalité pour tous les genres.
L'autre obstacle réside au niveau des relations entre les conjoints vis-à -vis du patrimoine matrimonial. Pour le Facilitateur, la réglementation du régime matrimonial sur la propriété foncière est toujours dictée par la coutume. Il advient en effet qu'avec le mariage, les biens appartiennent au mari qui a la puissance de parole et à la prise de décisions sur le patrimoine familial et la destination des récoltes, et la femme ne participe que comme observatrice.
Aussi, en cas de veuvage, la conjointe survivante ne dispose, dans la plupart de cas, que du pouvoir d'administration des biens, et des fois quand elle n'a pas eu d'enfants, ou quand elle n'a enfanté que des filles, il lui arrive d'être répudiée par sa belle-famille qui récupère tout le patrimoine. Pire encore, c'est quand elle a la malchance d'enfanter dehors, après le décès de son mari (enfant bâtard).
De même, en cas du divorce, si le divorce est prononcé aux torts de la femme, les efforts engagés par cette dernière pour contribuer à l'édification du patrimoine familial, efforts qui parfois s'avèrent plus consistants, ne sont pas reconnus, alors que si les torts incombent au mari, on apprécie sur la quantité des biens qu'il faut donner à la femme. On n'applique jamais l'égalité. On reconnaît rarement le droit de propriété, s'il s'agit du bien foncier.
Quand la spirale tourne du côté de la communauté Batwa, là on manque même à dire, car les Batwa ont très rarement de propriétés foncières. Cependant, les droits fonciers des femmes batwa, même d'usufruit viager («Igiseke»), restent très peu nombreux.
La conclusion de Maître Alphonsine Bigirimana a été que, Au Burundi, alors que la pression foncière est de plus en plus accrue, le droit de propriété foncière d'une femme est anéanti par la coutume du fait du système patriarcal, patrilinéaire et patrilocal dans la fondation des foyers. Pour elle, l'une des réponses possibles à cette non-féminisation du foncier serait l'augmentation de la participation des femmes dans les instances de prise de décisions, afin de pouvoir bâtir une société où les femmes et les hommes jouissent des mêmes droits et devoirs, développement de façon équitable leurs capacités, et contribuent ainsi, en tant que partenaires égaux, à l'édification d'une société juste et prospère, aussi bien sur le plan politique, économique, social et culturel du Burundi. Mais malheureusement, là aussi elles restent encore faiblement représentées.
Un moment d'échange a été accordé aux participants. À écouter les interventions des uns et des autres, il est advenu que même parmi eux, l'enjeu n'est pas perçu de la même manière, et les deux genres (hommes et femmes) se jetaient le tort. Par exemple, l'un des hommes a dit: «Même vous les femmes, vous vous sous-estimez; comment voulez-vous vous qu'on vous aide à vous relever?» Il a évoqué notamment un cas quasiment général des femmes qui, lorsqu'elles achètent une propriété foncière, la font enregistrer sur leurs enfants de sexe féminin, comme si elles se sous-estiment, même devant leurs propres enfants garçons. Une femme a réagi à chaud: «La raison est que nous avons longtemps été marginalisées à tél point que nous avons pensé que c'est ça notre vie; acceptez seulement à nous aider à nous relever, d'abord psychologiquement, puis édifiez-nous sur d'autres côtés!»
Pour toutes les recommandations émises, le Secrétaire Exécutif Permanent de la CEJP-Burundi a indiqué avoir pris note, et qu'il entreprend les soumettre à la Conférence des Évêques Catholiques du Burundi (CECAB) pour la finalité ultime de Plaidoyer National pour la cause haut-évoquée, dans l'espoir qu'une femme qui jouit positivement de son droit à la propriété et à la prise de parole dans les instances de prise de décisions contribue favorablement à l'édification d'une société épanouie sur le plan économique, politique et culturelle.
Michel Nibitanga, CEDICOM