Chers frères et sœurs dans le
Christ, et vous, hommes et femmes de bonne volonté,
1. Nous, Pasteurs de l’Eglise
Catholique, vous souhaitons la paix que le Christ nous a obtenue à Pâques, par
sa victoire sur la mort. La victoire de Pâques est une victoire de la vie sur
la mort, de l’amour sur la haine, de la vérité sur le mensonge, du bien sur le mal.
2. Après sa résurrection, Jésus est
apparu à ses disciples pour les affermir dans leur foi afin qu’ils puissent
perpétuer sa mission. A chaque apparition, la salutation était toujours la
même: “La paix soit avec vous”. Jésus leur souhaitait la paix quand il les
rencontrait dans le quotidien de leur vie, en train de vaquer à leur
gagne-pain. Il les a aussi rejoints dans leur peur du risque de subir le même
sort que Lui.
3. Chers fidèles, par les temps qui
courent, avons-nous réellement besoin de paix? Qu’est-ce qui compromet la paix
dans nos cœurs, nos ménages, notre société et notre pays? Puissions-nous
accepter de redécouvrir à nouveaux frais ce salut de paix de la part de
Jésus-Christ ressuscité afin que nous en tirions ce qui peut nous aider
ensemble avec notre pays, à ressusciter avec le Christ.
Le salut de paix est un salut qui
rassérène et affermit la foi
4. Ce salut de la part de Jésus ne
se comprend aisément que si l’on se souvient des événements tragiques vécus à
Jérusalem, de la mascarade de son procès, de son chemin de croix et de sa mort
sur la croix. Toute l’espérance tant des témoins que des disciples s’était
évanouie comme nous le fait comprendre l’épisode des deux disciples d’Emmaüs [Cf.
Lc 24,13-35].
Les Apôtres étaient complètement
déboussolés. Il était donc nécessaire qu’ils soient affermis et rassurés pour
qu’ils sortent de leur angoisse et leur désespoir. Jésus ressuscité a passé un
bon moment à leur apparaître afin de leur apporter une nouvelle espérance. Il
leur a ouvert les yeux du cœur pour qu’ils aient une nouvelle conception de
Dieu et du sens donné à leur vie. Sa résurrection est advenue comme un nouveau
fondement de leur existence.
5. Ce salut de paix de Jésus rallume
une espérance nouvelle. Il apporte la paix de Dieu dans les cœurs des apôtres
et des disciples qui comprennent que Dieu, en Jésus-Christ, a vaincu tout ce
qui avilit et ravale la vie de l’homme jusqu’au péché et à la mort. Ce salut
recrée et renouvelle le don de la foi.
Jésus a envoyé l’Esprit Saint sur
ses disciples pour rasséréner leurs cœurs afin qu’ils puissent comprendre de
manière renouvelée que la vie de l’homme a une origine et un horizon, à savoir
Dieu lui-même. Lorsque les yeux des disciples s’ouvrirent grâce à la puissance
de l’Esprit, ils ont ressenti en eux la nécessité de porter
la paix du Christ à tous les hommes, y compris ses adversaires qui
avaient fini par le faire crucifier.
Le salut de paix est un salut qui
affermit et oriente vers l’avenir
6. Nous avons tous besoin de ce
salut qui nous fortifie dans la foi, en particulier dans les moments des
épreuves qui nous étreignent et bouleversent notre cœur, et surtout lorsque
tout semble sans issue à cause de l’ampleur du mal: le mensonge, l’injustice,
la haine, la criminalité ainsi que toutes les autres formes de violence qui
risquent de s’ériger en maître.
Et, des fois, il nous arrive
d’être comme les deux disciples d’Emmaüs chaque fois que nous nous révoltons et
perdons l’espérance en l’aboutissement de nos projets d’avenir jusqu’à chercher
à nous réfugier dans un “ailleurs meilleur”, loin de la mort. C’est dans ces
moments critiques que Jésus ressuscité se rend proche de nous et nous assure de
la proximité constante de l’amour de Dieu qui s’est fait chair, et il nous
réconforte pour avoir connu et traversé les mêmes épreuves. Dieu seul détient
la victoire durable, puisqu’Il a aussi vaincu la mort. En Jésus Christ, nous
réalisons que Dieu ne saurait jamais abandonner celui qui est juste.
Après avoir compris la Vérité de
Dieu, nous saisissons que la mort ne peut prévaloir sur la vie, ni le mensonge
sur la vérité, ni la haine engloutir l’amour. Ce salut de Jésus ‘‘La paix soit
avec vous’’ demeure le point de convergence de toutes nos blessures
consécutives aux tragédies cycliques que nous avons endurées avec l’espérance
nouvelle que nous apporte le Christ afin d’affronter sereinement les défis à
venir.
Le salut de paix est un salut
dont les Burundais et nos hôtes ont besoin
7. Pour nous chrétiens engagés dans
les divers secteurs de la vie socio-professionnelle du pays, il importe de
réaliser que Pâques va de pair avec le renouvellement de notre vie dans tous
les aspects de la vie de l’homme et de notre nation. Puisse la victoire du
Christ nous être un ferment nouveau, afin que nous acceptions de nous
dépouiller du vieil homme [Cf. Ep 4,22], pour être renouvelés dans le Christ
mort pour nous introduire dans la communion avec son Père et entre nous. Dieu
est notre Père et nous appelle sans cesse à vivre en reconnaissant cette
commune filiation.
8. Ici chez nous au Burundi, la
célébration de Pâques advient au moment où notre pays s’engage à consolider les
valeurs de vérité en cherchant à entrer dans la dynamique du pardon et de la
réconciliation. C’est un travail qui requiert un esprit de sagesse et d’amour.
Nous voulons consolider la
confiance mutuelle basée sur la paix et la réconciliation en tenant compte des
tragédies récurrentes que le Burundi a traversées. Par ailleurs, nous nous
approchons tout doucement des échéances où plusieurs catégories de nos
concitoyens se remémorent tragiquement la perte des leurs suite à ces
tourmentes. Cette période survient également au moment de la préparation des
prochaines élections de 2025. C’est donc une opportunité pour renouveler notre
vie en empruntant la voie tracée par Jésus-Christ ainsi que la mystique liée à
la dynamique de la paix.
Comme chrétiens, il est de notre
devoir d’offrir notre contribution pour que cette paix du Christ soit
privilégiée. C’est pourquoi, nous voudrions revenir sur quatre aspects liés à
la période actuelle pour qu’ils soient éclairés par la lumière de la Parole de
Dieu.
Premièrement: Pour une
consolidation de la confiance mutuelle dans
une administration qui est au service de tous et leur reconnait le droit
d’expression
9. De par le passé de notre pays,
nous savons combien le Burundi, de manière récurrente, a sombré dans la
violence suite à l’exclusionnisme et à la recherche exacerbée du pouvoir. Même
aujourd’hui, cela demeure pour nous une préoccupation vu qu’il existe des
signes de ceux qui voudraient nous faire revivre le système politique révolu du
monopartisme.
Il est donc nécessaire que soit
renforcé un régime qui fasse place à toutes les formations politiques y comprises
celles qui sont en opposition à l’égard du Parti au pouvoir, cela afin de
permettre à tous les citoyens d’exprimer leurs idées par les medias de l’Etat,
l’organisation et la tenue de meetings en respect de la loi, sans aucune
entrave.
Cependant, s’organiser et tenir
des réunions politiques ne suffit pas; encore faut-il que tout soit mis en œuvre
afin que soient garanties les libertés individuelles pour pouvoir s’atteler au
développement individuel et communautaire. Ainsi, il sera possible de mieux
nous préparer à des échéances électorales prochaines, inclusives, libres et
transparentes. De telles élections recevraient alors, sans réserve, l’aval de
tous.
10. Des discours et des décisions
prises mais sans lendemain décrédibilisent les institutions étatiques, surtout
lorsque les décideurs ne rendent pas compte de l’état d’avancement et des
réalisations en rapport avec leurs responsabilités. Puisque le Gouvernement se
présente comme «Reta mvyeyi», comment pourrait-il correspondre à cette identité
s’il ne développe pas une gestion inclusive, garantissant et promouvant le Bien
Commun?
Au moment où ceux qui sont
membres d’autres partis que celui au pouvoir se retrouvent étiquetés comme des
ennemis et ne peuvent accéder à des postes de responsabilité alors qu’ils en
sont capables, il devient dès lors difficile de s’engager au service du bien commun.
Il est, donc, nécessaire que les
Burundais puissent encore s’asseoir ensemble pour penser un système de
gouvernement qui puisse accorder la parole à tous, se soucier du bien commun et
ainsi ramener la confiance dans les instances administratives.
Deuxièmement: De la réforme de
l’instance de la justice
11. Les leaders de notre pays, à
commencer par le Chef de l’Etat, ne cessent de rappeler sans cesse et de
fustiger les conséquences de la culture de l’impunité. Au fur et à mesure que
l’impunité s’établit dans la société, le peuple perd la confiance dans les
institutions judiciaires et risque ainsi de se décourager, de se faire justice
et de commettre des crimes.
Il existe des agents de la
justice qui expriment des préoccupations pour leur sécurité à cause du
harcèlement de la part de certains cadres les contraignant à enfreindre le
droit au lieu de défendre la vérité et la justice.
12. La question de la justice concerne également les modalités d’embauche au niveau de l’Etat. Des plaintes nous parviennent de diverses personnes que l’accès aux postes de travail ne tient pas compte des connaissances, ni du savoir-faire ni des compétences professionnelles, mais qu’il est conditionné par le seul critère de militantisme dans le parti au pouvoir et/ou la capacité de verser des pots de vin.
Cette pratique véreuse entraine l’incompétence et le manque de
productivité, la rémunération des fainéants et des pilleurs de l’Etat rendant
ainsi endémique la pratique de la corruption.
13. Il convient que les leaders ainsi
que le personnel de l’appareil de justice, à tous les niveaux, travaillent
d’arrache-pied afin que tout citoyen burundais et tout résident se sentent en
sécurité ; que celui qui est lésé soit rétabli dans ses droits et vive en paix
parmi les siens et ses biens. En effet, comme nous l’avons dit, toute impunité
face au mal commis, cause angoisse et rancœurs dans les cœurs entrainant ainsi
le désordre et la guerre.
Troisièmement: Pour la
consolidation de la sécurité protectrice de la personne humaine
14. La sécurité est le trésor le plus
précieux de toute personne. Constater que dans notre pays, il est des personnes
qui sont horriblement assassinées ou kidnappées et portées disparues pour des
raisons politiques ou autres intérêts macabres, fait frissonner.
Nous en profitons pour exprimer
notre compassion et solidarité à l’endroit des familles ayant perdu les leurs
ces derniers temps. Quand bien même quelqu’un serait appréhendé et arrêté par
les instances habilitées, la justice doit se dérouler dans le respect de la
loi, de sorte que la personne soit détenue dans un endroit connu et accessible
aux membres de sa famille.
15. Veiller sur la sécurité dans la
quadruple synergie demeure indispensable pour le pays.
Cependant, il revient surtout aux
forces de sécurité et de défense d’être beaucoup plus vigilantes pour protéger
la population et ses biens.
16. Nous ne saurions parler de
justice sans lancer un appel pathétique à tous ceux qui nourrissent encore des
sentiments de verser le sang des paisibles citoyens comme moyen de faire
entendre leur idéologie ou d’ambitionner le pouvoir politique. Nous exhortons
instamment quiconque serait encore habité par cet esprit à remettre l’épée dans
le fourreau pour s’atteler à édifier la nation en empruntant les voies qui
respectent la dignité de la personne humaine et qui privilégient le dialogue et
la concertation.
Quatrièmement: Pour une prise à
bras-le-corps de la question de la pauvreté dans le pays
17. Nous saluons les efforts déployés
par les instances du pays qui se donnent pour augmenter et booster la
production agro-pastorale. Toutefois, force est de constater que l’économie du
pays peine à se relever.
De fait, la flambée des prix sur
le marché, la dépréciation progressive de la monnaie burundaise, la rareté du
carburant et des autres produits de première nécessité, le chômage, constituent
des raisons qui condamnent la plupart à croupir dans une pauvreté qui ne cesse
de s’aggraver. Il est donc urgent que la question de la pauvreté soit
profondément étudiée, tout en instaurant
des mécanismes de suivi-évaluation.
18. Afin que la population mène une
vie paisible, sans désespoir, il est nécessaire que les instances habilitées
veillent scrupuleusement au bien commun et que les auteurs des détournements et
malversations soient arrêtés et publiquement sanctionnés conformément à la loi.
Le salut de paix est catalyseur
de promotion de paix et de confiance
19. Chers fidèles, et vous toutes les
personnes de bonne volonté, de nouveau Jésus nous dit: «La paix soit avec vous!»
Et c’est lui aussi qui nous dit: «Heureux les artisans de paix, car il seront
appelés fils de Dieu» [Mt 5, 22].
Etant donné que nous sommes en
train de célébrer les festivités de Pâques, redynamisons davantage l’œuvre de
promouvoir la paix et la réconciliation comme il sied aux enfants de Dieu. Et
pour que cette œuvre soit pérenne, elle doit se fonder sur la vérité, la
justice, l’amour et la liberté.
20. Implorons la proximité de Dieu en
toutes circonstances afin que nous soyons infatigables dans la promotion de la
paix dans nos foyers, au sein de la communauté, dans notre pays, dans les pays
des Grands Lacs et dans le monde entier.
21. Nous ne pourrions clore ce
message sans vous annoncer que le Saint Père, le Pape François, ouvrira
solennellement le Jubilé de 2025 ans de l’Eglise en date du 09 mai 2024. Nous
vous invitons tous à bien entrer dans ce jubilé et à le célébrer dans
l’espérance ancrée dans la victoire du Christ, Roi de paix.
22. Daigne la Vierge Marie, Reine de
la Paix, à qui le Burundi a été dédié, intercéder pour nous, afin que la Grâce
de Jésus notre Seigneur, l’Amour de Dieu le Père et la Communion de
l’Esprit-Saint soient toujours avec nous tout au cours des temps que nous vivons.
Fait à Bujumbura, le 21/03/2024
Vos Evêques
S.E Mgr Bonaventure Nahimana, Archevêque
de l’Archidiocèse de Gitega, Administrateur Apostolique du Diocèse de Rutana et
Président de la CECAB;
S.E Mgr Salvator Niciteretse, Évêque
du Diocèse de Bururi et Vice-Président de la CECAB;
S.E Mgr Gervais Banshimiyubusa, Archevêque
de l’Archidiocèse de Bujumbura;
S.E Mgr Joachim Ntahondereye, Évêque
du Diocèse de Muyinga;
S.E Mgr Blaise Nzeyimana, Évêque
du Diocèse de Ruyigi;
S.E Mgr Georges Bizimana, Évêque du Diocèse de Ngozi et Administrateur Apostolique du Diocèse de Bubanza.
Source: site web de la CECAB