Les chrétiens en pays musulman sont sensibles au geste et à la foi d'Abraham, c'est pour cela qu'ils se proposent une messe votive de saint Abraham (Abbé Michel Guillaud, Diocèse de Lyon)
Michel Guillaud est un prêtre du diocèse de Lyon ; il nous partage son point de vue autour de la question «Comment les chrétiens vivant dans un environnement musulman peuvent-ils partager ce moment de fête avec leurs amis musulmans?» Ceci concerne les burundais en une moindre mesure du fait que la présence musulmane est faible. Dans les pays a forte présence musulmane, on se demande : «Comment partager ce moment de fête avec les musulmans membres de nos familles (frères, parents,...) ou amis proches sans scandaliser ni notre foi chrétienne ni nos relations familiales ?»
LES CHRÉTIENS EN PAYS MUSULMAN S'ASSOCIENT A LA FÊTE «AÏD EL-KEBIR» PAR L'AMITIÉ
Ainsi, les lectures du jour sont la Genèse 22 (la ligature d'Isaac), les Galates 3 (Abraham père des croyants), le Psaume 24 (ou Psaume 104,1-9) et Jean 8,51-58. Ils se réfèrent à leur croyance que l'espérance d'Abraham se réalise en Jésus.
De même que beaucoup de musulmans témoignent aux chrétiens leur amitié, disent-ils, en offrant une part de la viande du mouton de l'Aïd (et parfois en offrant quelque chose à l'occasion de la fête chrétienne de Noël), les chrétiens en pays musulman se disent qu'il est bon qu'eux aussi manifestent un geste de voeux de «Bonne Fête!», une brève visite, un coup de fil, un SMS, un petit cadeau aux enfants, voire en participant à l'achat du mouton à l'occasion de cette fête, comme le font certains chrétiens membres d'une famille musulmane.
LES CHRÉTIENS EN PAYS MUSULMAN SONT AUSSI SENSIBLES AU GESTE ET A LA FOI D'ABRAHAM
Les chrétiens en pays musulman se disent aussi que la riche symbolique du bélier ou du bouc, du mouton et de l'agneau les marque aussi profondément. Tout comme pour la Pâque juive, Pessah, se souvenant comment Dieu avait libéré son peuple opprimé en Egypte, chaque famille égorgeait chaque année un agneau mangé selon des rites précis de l'«Agneau de la libération» (Exode 12,3-12), la Bible fait mention d'un rite effectué le jour du Grand Pardon, visant à opérer un transfert rituel du péché du peuple sur un bouc qui sera ensuite chassé au désert, déplaçant ainsi la violence interne d'une société à l'extérieur d'elle-même pour ramener la paix (Lévitique 16,21-22).
Comme ce rite entendait répondre à un fonctionnement inscrit de manière archaïque dans nombre de groupes ou de sociétés, qui choisissent plus ou moins consciemment une personne ou un groupe minoritaire qui est accusé des malheurs ou des fautes de tous, en ce jour-là, les chrétiens en pays musulman peuvent prier pour tous ceux qui servent de «bouc émissaire», dans leurs propres autojustifications comme dans leur société. Ils peuvent aussi prier Dieu de libérer ceux qui les entourent et eux-mêmes de ceux qui les oppriment, prier pour ceux qui souffrent de toutes formes d'oppression autour d'eux.
UNE MESSE VOTIVE DU SERVITEUR SOUFFRANT
L'agneau figure aussi le Serviteur maltraité. Le texte d'Isaïe 53 parle de cet homme humilié, méprisé, qui en fait portait nos souffrances, était broyé à cause de nos propres perversités, mais n'ouvrait pas la bouche, comme un agneau qu'on mène à l'abattoir.
Les chrétiens peuvent prier pour tous ceux qui offrent leur vie en sacrifice par leur droiture professionnelle ou politique, par leur lutte pour la justice, par le don d'eux-mêmes à leur famille, au soin d'ascendants âgés ou de malades, ou de toute autre manière.
L'AGNEAU D'ABRAHAM POUR FIGURER L'AGNUS DEI
Dans l'évangile de Jean, le Baptiste désigne ainsi Jésus: «Voici l'Agneau de Dieu qui enlève le péché du monde» (Jn.1,19). Le même Jean reprendra cette figure de l'Agneau tout au long du dernier livre de la Bible, l'Apocalypse. Certes, l'Agneau n'est pas ici victime passive et contrainte («Ma vie nul ne la prend mais c'est moi qui la donne» Cantique C3 Dorlay), mais envoyé par le Père; il s'offre, prend sur lui le péché du monde, et le sauve.
«Agneau de l'Alliance fidèle, Agneau de Dieu victorieux du péché, prend ce monde en pitié et donne-lui la paix!» (Cantique Rimaud-Berthier A 240-1). «Agneau glorieux, Agneau que nous avions immolé, Agneau devenu notre berger, prends pitié de nous, conduis-nous vers le Père ; prends pitié de nous, guide-nous dans la paix!» (Cantique Rimaud-Berthier D 360-1).
ENFIN, AÏD EL-KEBIR, UN JOUR DE PRIER POUR LES MUSULMANS
Il arrive que la liturgie nous invite à prier explicitement pour les musulmans (par exemple lors des Vêpres du jeudi IV). N'hésitons pas à le faire aussi en ce jour d'Aïd! Le texte de Gn.22, lu également dans la liturgie lors de la veillée pascale, mais aussi le 2ème dimanche de Carême de l'année B et le jeudi de la 13ème semaine du temps ordinaire des années impaires, pourra se reporter aux introductions ou aux commentaires de ce jour-là.
Signalons que la fête de l'Aïd el-Kébir est célébrée par les musulmans le 10ème du 12ème mois de leur calendrier, le mois de Dhou l-Hijja, le mois du Pèlerinage à La Mecque. Les pèlerins sacrifient un mouton, en mémoire du geste d'Abraham (Coran 37,101-106), beau geste disant la volonté de préférer Dieu à tout attachement terrestre, y compris les liens du sang. En communion avec les pèlerins, il est traditionnel dans beaucoup de pays musulmans de sacrifier le même jour un animal. C'est la Grande Fête musulmane (El-Aïd el-Kébir), la Fête du Sacrifice (Aïd el-Adha). Il y a grande prière et sermon le matin à la mosquée.
Michel NIBITANGA