L'Église ne pourra jamais se désintéresser des droits de l'Homme, créé à l'image et à la ressemblance de son Créateur; elle se sent blessée lorsque les droits d'un homme sont méconnus et violés
Chaque 10 décembre, c'est la journée internationale des droits de l'Homme. Cette année, le 10 décembre 2018, le monde célèbre le 70ème anniversaire de l'adoption, par les Nations Unies, de la Déclaration Universelles des Droits de l'Homme (DUDH). Mais qu'est-ce que les DH? Tout le monde en a-t-il la même compréhension? Comment sont-ils respectés? Le présent article va effleurer toutes ces interrogations mais en se focalisant sur leurs bénéficiaires et l'apport de l'Eglise catholique dans leur compréhension et promotion, tout en sachant que cette dernière appréhende la croissante attention des droits de l'homme comme «un signe des temps» (Commission Pontificale Justice et Paix, «L'Eglise et les droits de l'homme», Document de travail n°1, 2ème Edition, Cité du Vatican, 2011).
I. Définition des Droits de l'Homme
D'après Jacques MOURGEON, «Les droits de l'Homme se définissent comme étant les prérogatives gouvernées par des règles, que la personne détient en propre dans ses relations avec les particuliers et avec le Pouvoir» (MOURGEON Jacques, «Les droits de l'homme», 5ème édition, Collection Que sais-je?, Presses Universitaires de France, Paris, 1990, p.8). Jacques MOURGEON trouve le coeur du problème des droits de l'homme dans la misère de l'homme, mère de sa crainte. En effet, dit-il, plus fortement qu'hier, la misère est aujourd'hui ressentie comme le plus grand obstacle au développement et à l'exercice effectifs des droits (Jacques MOURGEON, op.cit., p.61-62).
Pour le Programme des Nations Unies pour le Développement, «Les droits de l'homme sont des droits dont disposent toutes les personnes, en vertu de leur condition humaine, pour vivre libres et dans la dignité. Ces droits confèrent à chacun des créances morales sur le comportement des autres individus, ainsi que sur la structure des dispositifs sociaux. Ils sont universels, inaliénables et indivisibles. Les droits de l'homme expriment notre engagement le plus profond à assurer un accès universel aux biens et aux libertés nécessaires pour vivre dans la dignité» (PNUD, «Rapport mondial sur le développement humain 2000: Droits de l'homme et développement humain», De Boeck Université, p.16).
Ils sont partout proclamés et intégrés dans le droit national comme dans le droit des gens. Mais il subsiste un contraste entre leur affirmation et les réalités vécues (HERODE Michel, JALLET Martine et STEINBERG Maxime, «Démocratie ou barbarie, Droits Humains: Regards d'aujourd'hui 1948-1998», Ministère de la Communauté Française, p.8). Ghyslain LÉVY voient les droits des hommes en plein désert qui ne cesse de s'agrandir (Voir LÉVY Ghyslain, «Les droits des hommes dans le désert: le sujet, entre désolation et droit», Revue internationale de psychosociologie 2004/2 - Volume, pp.51-67). Comment ne pas constater que «le droit et la réalité ne correspondent que fort rarement»? (VASAK Karel, «La réalité juridique des droits de l'homme», in VASAK Karel (Sous la Direction), «Les dimensions internationales des droits de l'homme», Manuel destiné à l'enseignement des droits de l'homme dans les universités. UNESCO, Paris, 1978, p.2).
II. Développement des Droits de l'Homme
Le droit des droits de l'homme s'est beaucoup développé depuis 1945. La protection s'étend sur plusieurs matières dont la lutte contre la discrimination; le génocide, crimes de guerres, crimes contre l'humanité; le terrorisme; la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants; l'esclavage, traite des êtres humains, travail forcé ; la liberté d'information et d'expression ; les étrangers, réfugiés, apatrides; les travailleurs; les femmes; les enfants; les personnes handicapées; les combattants, prisonniers et personnes civiles (VOLODIN Vladimir, Droits de l'Homme: Les principaux instruments internationaux, Etat au 31 mai 2007, UNESCO); etc.
Des nouveaux mécanismes universels de protection des droits de l'homme ont été institués dont le Conseil des droits de l'homme, le Comité consultatif du Conseil des droits de l'homme, l'examen périodique universel, les mandats thématiques, les mécanismes et mandats par pays, les mécanismes ou groupes de travail thématiques d'enquête et de rapport, le haut-commissaire aux droits de l'homme (Voir DUMONT Hugues, «Systèmes internationaux de protection des droits de l'homme», Syllabus, Volume 1, Université du Burundi, DESS en Droits de l'Homme et Résolution Pacifique des Conflits, Bujumbura, mai 2009), etc.
Au niveau régional, des conventions ont été négociées et adoptées. Il s'agit entre autres de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés Fondamentales, de la Charte Africaine des Droits de l'Homme et des Peuples et de la Convention Américaine des Droits de l'Homme, la Commission Interaméricaine des Droits de l'Homme et de la Charte Arabe des Droits de l'Homme. Chaque convention a son mécanisme de protection des droits de l'homme : une commission ou et une cour des droits de l'homme.
Au niveau du développement intellectuel, la généalogie des droits de l'homme a une place importante. Les droits civils et politiques, appelés communément droits-libertés ou droits-résistance sont de la première génération. Les droits économiques, sociaux et culturels dits droits-créance relèvent de la deuxième génération tandis que le droit au développement, le droit à la paix et à la solidarité font partie de la troisième génération.
Une quatrième génération serait en train d'être conçue et comprendrait des droits de l'Homme qui viseraient la protection de la dignité humaine, de l'humanité elle-même, de l'être humain en tant qu'espèce (HATUNGIMANA Alexandre, «Histoire des droits de l'homme», Cours, DESS en Droits de l'Homme et Résolution Pacifique des Conflits, Bujumbura, 2008-2009, p.116-119) face aux abus de la science (VAN DROOGHENBROECK Sébastien, Citoyenneté et droits de l'homme dans le Conseil de l'Europe et dans l'Union européenne, in DUMONT Hugues, Systèmes internationaux de protection des droits de l'homme, Syllabus, Volume 2, Université du Burundi, DESS en Droits de l'Homme et Résolution Pacifique des Conflits, Bujumbura, 2008-2009, p.6).
Les droits de l'homme sont reconnus, déclarés et non institués comme s'ils précédaient en quelque sorte leur formulation (FIERENS Jacques, «Philosophie des Droits de l'Homme», Cours, Université du Burundi, DESS en Droits de l'Homme et Résolution Pacifique des Conflits, Bujumbura, 2008-2009, p.3). Ils sont le fruit du développement de la pensée et de l'action de l'homme ainsi que de son contexte sociopolitique.
III. Apport de l'Eglise catholique dans la promotion des Droits de l'Homme
En matière des droits de l'homme, la notion fondamentale est celle de dignité humaine. Il est vrai que cette notion est présente dans l'antiquité grecque et romaine, mais elle trouve une nouvelle signification dans la pensée chrétienne. N'a-t-on pas vu les droits de l'homme représentés par un arbre à deux grandes racines? Ces deux racines étant la racine sémitique et la racine grecque (Voir Fierens Jacques, Op.cit). Le point de départ de cette idée c'est l'affirmation d'une certaine ressemblance entre l'homme et Dieu et la primauté de l'homme sur toute la création (MBONDA Ernest, «Philosophie des Droits de l'Homme», Cours, Université Catholique d'Afrique Centrale, Institut Catholique de Yaoundé, Master Droits de l'Homme et Action Humanitaire, Yaoundé, 2008-2009, p.16).
De cette origine commune des hommes/femmes, l'Eglise en Concile Vatican II a réaffirmé l'égalité essentielle de tous les hommes entre eux : «Tous les hommes, doués d'une âme raisonnable et créés à l'image de Dieu, ont même nature et même origine; tous rachetés par le Christ, jouissent d'une même vocation et d'une même destinée divine : on doit donc, et toujours davantage, reconnaitre leur égalité fondamentale» (GS, n°29 § 1er).
Chaque humain possède une valeur intrinsèque qui est fondamentalement inviolable et inaliénable. Chaque homme est donc un être à part, être doué de raison et de liberté, un sujet de droits (NDONGMO Marcus, «Religions et Droits de l'Homme», Cours, Université Catholique d'Afrique Centrale, Institut Catholique de Yaoundé, Master Droits de l'Homme et Action Humanitaire, Yaoundé, 2008-2009, p.12). En conséquence, toute personne, toute institution est appelée à promouvoir, respecter ou défendre les droits de l'homme.
A ce propos, l'Eglise catholique a fait enrichir les droits de l'homme par l'insistance sur l'égale dignité et les devoirs qui en sont le revers de la médaille. En effet, le thème des droits de l'homme est inséparable de celui des devoirs de l'homme. «Dans la vie en société, tout droit conféré à une personne par la nature crée chez les autres un devoir, celui de reconnaître et de respecter ce droit». «Ceux qui, dans la revendication de leurs droits, oublient leurs devoirs ou ne les remplissent qu'imparfaitement, risquent de démolir d'une main ce qu'ils construisent de l'autre» (DSE n°156). L'Eglise ne cesse de souligner l'importance fondamentale et la relation inséparable et nécessaire qui existe entre droits et devoirs de l'homme. Dans son discours aux NU, le Pape Paul VI disait, en effet, que parler des droits, c'est aussi énoncer des devoirs (Commission Pontificale Justice et Paix, Op.cit., p.7). Pour elle, «ce n'est qu'en observant scrupuleusement ses devoirs fondamentaux que l'homme peut exiger un respect total de ses droits fondamentaux» (Idem).
«Ainsi, par exemple, le droit à la vie entraîne le devoir de la conserver; le droit à une existence décente comporte le devoir de se conduire avec dignité; au droit de chercher librement le vrai répond le devoir d'approfondir et d'élargir cette recherche». Une fois que les normes de la vie collective se formulent en termes de droits et de devoirs, les hommes s'ouvrent aux valeurs spirituelles et comprennent ce qu'est la vérité, la justice, l'amour, la liberté; ils se rendent compte qu'ils appartiennent à une société de cet ordre. Davantage, ils sont portés à mieux connaître le Dieu véritable, transcendant et personnel. Alors leurs rapports avec Dieu leur apparaissent comme le fond même de la vie». «Parler des droits et des devoirs de l'homme signifie parler des droits et des devoirs non seulement de la personne humaine comme telle, mais aussi des communautés».
En plus, l'Eglise insiste beaucoup sur l'égale dignité en société étant donné que la personne humaine se développe dans une société concrète. Cela a fait que l'Eglise développe un ensemble de principes à savoir la dignité de la personne humaine, le bien commun, la destination universelle des biens, l'option préférentielle des pauvres, la solidarité, la subsidiarité la participation et l'égalité ainsi que des valeurs à savoir la vérité, la liberté, la justice et l'amour pour que les droits de l'homme puissent se développer et l'homme puisse s'épanouir dans la société. C'est l'Enseignement Social de l'Eglise.
A partir de cette exigence de reconnaître mes devoirs, je reconnais les droits des autres, peut-être autres que moi. C'est dans cet ordre que je reconnais les droits de Dieu, ceux des communautés (familles, Etats, organisations internationales, communauté internationale, minorités ethniques ou religieuses, Eglises, partis politiques, syndicats, peuples, ...) et des particuliers notamment les pauvres, les personnes à handicaps, les prisonniers, les étrangers, les réfugiés, les enfants, les femmes, les personnes du troisième âge, les opposants politiques, les employeurs, les employés, etc.
Jusqu'ici les droits de l'homme sont bien connus et protégés même s'ils sont violés. Cette violation des droits a permis de prendre compte des catégories qui étaient jusque peu oubliées. Il s'agit des droits de la femme, de l'enfant, des minorités ethniques ou religieuses, des personnes à handicaps, des prisonniers, des étrangers, des malades, des vieux et vieilles, de la famille, etc.
L'apport de l'Eglise à propos des droits de l'homme se résume dans cette déclaration de la Commission Pontificale Justice et Paix:
«L'Église, avant tout soucieuse des droits de Dieu, dit-il, ne pourra jamais se désintéresser des droits de cet homme-là , créé à l'image et à la ressemblance de son Créateur. Elle se sent blessée lorsque les droits d'un homme, quel qu'il soit, et où que ce soit, sont méconnus et violés. [...] Toute forme de discrimination touchant les droits fondamentaux de la personne, qu'elle soit sociale ou culturelle, qu'elle soit fondée sur le sexe, la race, la couleur de la peau, la condition sociale, la langue ou la religion, doit être dépassée et éliminée, comme contraire au dessein de Dieu» (Voir Commission Pontificale Justice et Paix, L'Eglise et les droits de l'homme, Document de travail n°1, 2ème Edition, Cité du Vatican, 2011).