La place des émotions dans le processus de réconciliation
Date de publication: 05/01/20181555 Vues
Parler, même sous une forte émotion pour exprimer ses émotions c'est se libérer. On sentira même de la rancoeur envers la personne prise se sujet de l'emportement, l'agresseur, le bourreau.
Le processus de réconciliation est un chemin long et complexe. Les cinquante ans que le Burundi vient de passer ont été jalonnés par des violences escaladant jusqu'à être assimilées à des génocides. Les victimes n'ont pas toujours eu la possibilité de pleurer les leurs, refoulant les douleurs dans leurs subconscients. Ils sont développés des sentiments de haine, de vengeance, une frustration qui pouvait aboutir souvent à une rébellion. Penser la réconciliation sur un tel terrain, essentiellement amener les gens à parler, à faire sortir d'eux ces sentiments, à exprimer ce qu'ils ont ressenti au moment des agressions et ce qu'ils en ont gardé. Pendant qu'ils expriment leurs sentiments qui ont duré en eux, en même temps ils expriment leurs émotions, souvent vives.
Tous les hommes et toutes les femmes ont des émotions. Celles-ci ont leur siège dans le coeur tandis que les idées ont leur siège dans la tête et les gestes se manifestent par le corps. Ces trois espaces ou instances communiquent et constituent la personne humaine. Dans un contexte où l'homme n'est libre d'exprimer ce qu'il ressent dans son coeur, il parle par sa tête mais son coeur est plein. La culture, les habitudes, les bonnes manières ou pire le contexte socio-politico-sécuritaire constituent souvent des blocages à la libération de la parole venant du coeur. La tête parle mais le coeur est fatigué car trop chargé.
La guerre commence par le coeur et elle c'est dans le coeur que la paix commence. Bâtir un pays réconcilier c'est donner la paix aux coeurs de la population. Plus l'homme a été agressé, plus son coeur s'est chargé. Une action importante consiste à lui atteindre son coeur, à le décharger, à amener la personne à exprimer ses émotions. L'expression des émotions ne se fait pas par la tête (ce ne sera que des idées) mais par le coeur. C'est pourquoi il faut un cadre approprié pour catalyser cette expression. Il faut en plus des personnes capables, non des spécialistes psychanalystes ou des écoutants professionnels, mais des personnes simples, souples, informés, exercés à écouter avec le coeur, des personnes qui ont du temps et qui sont armées de patience et de compassion ; des personnes crédibles et compétentes.
L'expression des émotions devient donc une des stratégies incontournables dans le processus de réconciliation au Burundi. Beaucoup ont été affectés mais peu l'ont physiquement exprimé. Beaucoup ont le coeur chargé mais beaucoup parlent avec la tête et cachent leurs blessures. Il faut parler, parler avec son coeur de ce qui t'a blessé. Il pourrait arriver que la colère, l'énervement dépassent les proportions du coeur et occupent la place de la tête et du corps. Parler, même sous une forte émotion pour exprimer ses émotions c'est se libérer. On sentira même de la rancoeur envers la personne prise se sujet de l'emportement, l'agresseur, le bourreau.
La réconciliation passera par cette expression des sentiments et des émotions que les écoutants sauront capitaliser. Ils constitueront un miroir face qui renverra ces émotions à la victime. La narration de la victime ne constitue pas forcément l'histoire mais c'est sa mémoire, sa mémoire des faits, son vécu des faits, vécu souvent malheureux. Notre mémoire est sélective, elle sait filtrer les événements. La victime a sa vérité, c'est ce que son coeur a gardé des événements subis. Il ne faut pas nier ou tenter de refuser son vérité tant qu'il parle avec son coeur. La vérité de la victime c'est sa vérité.
C'est une tentation naturelle de lier vérité des faits et vérité de l'histoire. Par respect pour la personne, il ne faut pas confondre la vérité de l'individu et celle de l'histoire dans laquelle il fait partie mais à laquelle il n'est pas réduit. La vérité historique de la nature du conflit échappe à mon statut de victime. On peut lier les deux réalités, mais il ne faut pas les mêler. Il y a la vérité d'un récit individuel et un récit de vérité globale, d'un contexte plus large (vérité collective). Connaître la vérité des faits en écoutant les victimes est un droit et un devoir. Il faut reconnaître les victimes et le tort causé, mais aussi et surtout donner de la place aux agresseurs.
Ce processus d'expression du coeur et d'écoute par le coeur est une étape à laquelle le burundais doivent se préparer. Les émotions exigent de s'exprimer si non les coeurs resteront tendus car chargés. Tout de même, une crainte plane dans les têtes des certains que cette libération de la parole peut générer de fortes et vives émotions qui risquent d'entamer les plus stables. Autant que les personnes pourront, par leurs coeurs, exprimer leurs émotions, individuellement ou collectivement ; autant que les coeurs vont extérioriser même physiquement ce qu'ils ont ruminé sans pouvoir le dire ; autant qu'une maman pourra pleurer son fils après une, deux ou trois décennies, autant le processus de guérison sera en marche et c'est l'une des étapes de la réconciliation. Il suffira d'enclencher des mécanismes d'accompagnement.
Dieudonné NIYIBIZI
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